De nouvelles demandes Il est désormais reconnu que les principes et la méthodologie à la base du processus de planification urbaine, basés sur l’idée de faire table rase au commencement d’un projet et sur la séparation des fonctions au sein de la ville, sont aujourd'hui caducs. En terme d'urbanisation, le consensus actuel est que l’ordre social et les processus d'uniformisation et de ségrégation qui ont marqué le 20ème siècle doivent être remplaçés par la mise en place de systèmes qui puissent lier les différences et qui soient adaptables au contexte. Il s'agit dès lors de mettre en place des systèmes multifonctionnels articulés entre eux et imbriqués les uns aux autres ; dans lesquels le social et le spatial soient intrinsèquement liés. Ceci suppose de concevoir des réseaux de transport et des infrastructures originales à partir des nouvelles demandes d’accessibilité pour tous à la ville formelle, de mobilité et d’adaptation constante à l’environnement. L’une des demandes actuelles, formulée à partir de différents secteurs de la société, vise à une réorientation du concept de “développement” qui puisse inclure la notion de viabilité des propositions établies par des processus démocratiques, à travers des projets et des interventions destinés à favoriser la vie associative et participative. Ce dit développement peut se réaliser au travers d’actions basées sur une stratégie qui privilégie la connexion entre différents lieux et donc leur articulation, en créant des espaces de qualité aux différentes échelles rencontrées : qu’il s’agisse de l'objet architechtonique lui-même, d’un pâté de maisons, d’un quartier, ou d’une ville. L’analyse attentive de l’existant et la recherche de l'incorporation harmonieuse des nouvelles constructions à celui-ci sont essentielles. Cette recherche d'une continuité dans le tissu urbain (entre le tissu ancien et le nouveau tissu) doit être mise en oeuvre à travers les questions de volumétrie, de sélection des matériaux de construction et du choix des couleurs utilisées (l'usage de couleur dans la culture populaire est associé à l'idée de beauté, comme en témoigne notamment les défilés du Carnaval). Dans le contexte actuel ce sont des paramètres nécessaires pour une intervention plus responsable d’un point de vue social et urbanistique. Aujourd’hui, à la qualité de la conception du projet, on inclue la question fondamentale de l’impact environnemental des interventions et la reconsidération du facteur densité. Ces questions ont directement à voir avec les espaces publics dans lesquels prend place l'animation d'une ville, et la reconversion de lieux capables de favoriser la convivialité entre tous les sujets, aussi différents soit-il les uns des autres, avec l'idée de contribuer à Aujourd’hui, en plus de l'analyse des conditions locales, il est nécessaire de matérialiser des formes d’organisation socio-spatiale et de participation populaire qui permettent de combiner densité et qualité, en articulant le macro avec le micro, le public avec le privé, et l’individuel avec le collectif. Un bon projet a toujours eu pour objectif d’améliorer une situation donnée. Cette intention, encore d’actualité, nous invite aujourd’hui à la nécessaire mise en place de types d’architecture et d’urbanisme qui prennent en compte le milieu déjà existant tout en étant capables de modifier la ville en reliant entre eux ses espaces déconnectés. Le territoire de la ville contemporaine est régi par la logique capitaliste dérivée d’une “économie liquide”, qui contribue à fragmenter en permanence la structure urbaine en développant de nouvelles centralités. La multipolarisation de l’étendue urbaine est la caractéristique d’une croissance continue combinée à une distribution inégale des investissements dans le transport, dans les services, dans l’infrastructure en général et dans les “équipements de prestige », qui découle des tendances erratiques des processus de production et de consommation du capitalisme globalisé. La catastrophe qui affecte la plupart des grandes métropoles contemporaines est l’absence de stratégies et de politiques urbaines capables de réarticuler le territoire urbain selon un processus de continuité et de coordination des initiatives, qu’elles soient publiques ou privées. Ainsi, la dialéctique localisation/délocalisation est à la base de toute configuration visant à reconnecter des espaces sur un même territoire. Ceci exige dès lors de repenser les relations entre la ville, l’urbanité et l’espace public. La ville est ici comprise comme toute configuration spatiale définie par l’établissement de constructions stables, habitées par une population importante, dense et hétérogène, essentiellement constituée par des personnes qui ne se connaissent pas entre elles (Manuel Delgado). L’urbanité, quant à elle, est déterminée comme le mode de vie caractérisé par la mobilité et l’agitation comme source de structuration sociale ainsi que par la prolifération de chaînes relationnelles. Il en résulte une société qui en principe se meut et qui parfois, se mobilise (Manuel Delgado). Enfin, l’espace public est défini comme les superficies sur lesquelles se produisent les glissements desquels résulte une infinité d’entrecroisements et de bifurcations ; théâtre de l’agitation humaine, où les di ensions politiques et culturelles sont au centre des questions actuelles (Manuel Delgado). Depuis la formulation des “Plans de Développement Urbanistique (PDU) pour le Complexo d’Alemão” et pour le “Complexo de Manguinhos” (réalisés en 2008) et avec la définition ultérieure de la configuration des difications fondamentales, comme celle de la “Rambla de Manguinhos” (élément socio-spatial principal du projet élaboré pour Manguinhos), j'ai eu la conviction que ces plans pourraient constituer des pièces très importantes à une nouvelle échelle. En effet, en apportant un changement de direction dans l’approche des questions urbaines et sociales à Rio de Janeiro, ils constituent une nouvelle référence pour les grandes métropoles du Brésil et d’Amérique Latine, mais également pour celles de l’ensemble des pays en développement. Ce changement de direction concerne essentiellement l'appréhension de la complexité de tout projet socio-spatial qui inclue plusieurs facteurs (urbains, culturels, économiques, environnementaux et relatifs à la sécurité citoyenne) et sa gestion comme un tout, à travers la coordination de quatre aspects fondamentaux : les programmes à mettre en place, le caractère des interventions physiques, le travail social et la compatibilité de chronogrammes physico-financiers et temporels. Vue de la Rambla en construction Le PAC Urbain : une signification stratégique Aujourd’hui, l’entropie urbaine des grandes métropoles caractérise à la fois le passage d’états ordonnésà d’autres plus désordonnés, comme celui d’états instables à d’autres potentiellement plus stables. Ce concept d’entropie nous permet d’imaginer des dispositifs de projets conçus comme des mécanismes d’échanges entre différentes échelles, soit entre le système local et le métasystème qui l'englobe, la ville. Ces dispositifs sont davantage le produit d’ordres structuraux (lecture de la structure de chaque lieu et “écoute” des demandes) et de concepts flexibles, que le résultat d'une décision imposée, qui serait élaborée selon des plans préconçus et donc inapropriée pour une reconfiguration adéquate de la réalité. La production de ces dits “schémas de lecture” fonctionne comme une sorte de diagnostic et d’interprétation de ce qui se passe entre un lieu et son environnement, à partir de l’identification des limites et des potentialités du territoire concerné. Pour ce faire, elle intègre la logique du projet contemporain (capable d'alternatives dans sa réalisation et possédant une partie non planifiée aboutissant à une adaptation permanente au contexte) à la structure diffuse et inachevée de la ville, permettant ainsi de transformer les informations et les situations existantes en projets capables de revitaliser le lieu en question. A Rio de Janeiro est en train de se dérouler actuellement une expérience sans précédent, qui a une grande signification (autant de par l'ampleur du projet que par la part de l’investissement économique qui y est fait) pour la mise en place de politiques publiques de reconfiguration urbaine. Ce programme, le PAC Urbain, vise la réarticulation de secteurs du territoire hautement problématiques des points de vue sociaux, urbanistiques, écologiques et de sécurité citoyenne. Il consiste ainsi en la mobilisation de savoirs, d’acteurs et de réseaux sociaux et techniques, à partir de l’investissement public destiné à la sphère sociale, défini par le Ministère des Villes (Ministerio de las Ciudades) et mené localement par le gouvernement de l’Etat de Rio de Janeiro, avec la participation du gouvernement municipal. L’expérience préalable des interventions urbaines effectuées dans le cadre du Programme Favela-Bairro et des PDU pour les Complexes d'Alemão et de Manguinhos, a permis d’accumuler le savoir- faire pratique et conceptuel nécessaire pour une intervention actuelle à grande échelle (le programme Favela-Bairro procédait principalement à échelle moyenne). Cette accumulation de savoirs est le fruit d’une intervention réalisée sur des fragments de la ville hautement problématiques, dans lesquels le Projet Urbain a su établir une cohérence dans sa conception socio-spatiale et permettre l’articulation entre différentes disciplines et technologies. Dans ces zones, la réflexion est donc partie de l'observation de la ville et des événements qui y prennent place, ainsi que de la prise en compte de l’interaction entre la ville considérée dans sa globalité et les particularités socio-spatiales du lieu d’intervention et de son environnement. Ce type d’approche, allant du global vers le local et inversement, et du collectif vers l’individuel, permet d’établir de nouveaux objectifs pour lesquels un “projet intégré” de qualité (prenant en compte l'environnement économique, social, culturel, naturel, humain) implique en même temps un droit à la ville, à l’urbanité (avec tous les équipements publics nécessaires) et à l’espace public (pensé comme un lieu générateur de rencontres et de nouveaux modes relationnels, favorisant un mieux-vivre ensemble). L’un des problèmes à propos duquel il faut toujours être très vigilant est celui relatif aux formes de participation de la communauté, en cherchant à faire de sa participation une implication dans le projet qui soit la moins subalterne possible. Ce thème, extrêmement délicat, exige une attention permanente envers tous les participants (autorités publiques, communautés, entreprises de construction, architectes, contrôleurs de l'exécution des travaux et moyens de communication) capables de générer une transparence dans le processus et une justice sociale à chaque étape décisionnelle. Bibliothèque Parc-Complexe de Manguinhos. Les actions définies pour le Projet Urbain ont comme objectif de transformer radicalement la situation de chacun des Complexes (Manguinhos et Alemão) aussi bien en ce qui concerne leur structure physique qu’en ce qui concerne l’imaginaire de la ville, en y apportant des reconfigurations et en y construisant des infrastructures qui puissent entraîner des répercussions positives (relations de causesà effet) sur l'ensemble du territoire. Le projet est donc pensé de façon à mettre en place des mécanismes agissant comme des pôles catalyseurs de potentialités, suscitant ainsi un développement intégré avec un pouvoir d’amélioration déterminant sur l’ensemble du tissu urbain, à travers l’utilisation d’une réglementation ouverte. Le téléphérique et le Centre Civique -respectivement conçus pour les complexes d’Alemão et de Manguinhos- tout comme l’élévation de la voie ferrée qui aujourd'hui divise le Complexe de Manguinhos en son milieu (cinq favelas d’un côté et six de l’autre), et la création d’une Promenade Publique (Rambla) qui connecte la station du train au Centre Civique, sont des actions réalisées à grande échelle. Elles ont par conséquent un impact urbain sur l’ensemble de la ville, et représentent une nouvelle démarche de travail à l’échelle métropolitaine. L’approche multidisciplinaire reliant les aspects physique, social et écologique aux questions de sécurité du citoyen et aux problématiques de l'individu contemporain (pensé comme Sujet), constitue le noyau de toute « reconfiguration-réorganisation» d'un lieu, réalisée à partir de l’élaboration détaillée des projets. Cette approche considère que l’investissement économique et la conception d'un projet, l’ingénierie et l’architecture, le social et le politique, ne peuvent s’articuler que grâce à un nouveau pacte territorial qui présuppose la mobilisation des savoirs et des acteurs, des réseaux sociaux et techniques ainsi qu’une nouvelle gestion politique génératrice de travail, de revenu, de production, etc. Cette réorganisation des territoires traversés par les nouveaux flux de mobilité et d’accès doit se réaliser grâce aux nouvelles conditions de coordination du pouvoir public au niveaux fédéral, provincial et municipal. Ainsi, la prise en compte de l'infrastructure, des politiques publiques et des conditions de sécurité citoyenne, tout comme la considération de l'éthique et de l'esthétique - considérées essentielles dans un projet d'amélioration de la qualité de vie - sont des questions qui se relient entre elles grâce à des projets de structuration socio-spatiale à caractère urbanistique qui regroupent plusieurs participants, technologies et mouvements sociaux, entraînant de nouvelles alternatives pour la réorientation des grandes métropoles contemporaines. Les espaces et les relations multiples, hétérogènes et discontinues définissent le caractère multifacette de l’urbanité actuelle, définie par son étalement urbain et par l'assemblage de correspondances entre les procédés locaux des projets, toujours singuliers, et l’influence des processus globaux. Les “Mega-Cities” exacerbent le phénomène de “villes dans la ville” qui était la marque des métropoles du 20ème siècle. Aujourd’hui, un nouveau cadre de combinaisons, de liaisons entre les différents espaces de la ville, et de réseaux -dynamiques et fluctuant- en développement constant, constitue un système de limites toujours changeant qu’il est nécessaire d’interpréter pour chaque projet et pour chaque situation spécifique. Les échelles traditionnelles servant à la lecture d’une situation donnée - lecture à l’échelle de “la maison” (aujourd’hui systématiquement associée à sa responsabilité urbaine), à l’échelle du pâté de maison (nécessairement ouvert) et à celle du quartier (avec ses parties stables et d’autres toujours en processus de reconfiguration) - doivent redéfinir en permanence leur rôle par rapport aux “aires informelles” (qu’elles soient pauvres ou riches) qui sont le résultat du sprawl (étalement urbain) contemporain. Ces échelles doivent également redéfinir leur statut par rapport au processus de reconfiguration des centralités imposé par la dynamique socio-spatiale du capitalisme et du phénomène de délocalisation qui en dérive. Dans ce contexte les relations entre la cellule individuelle, les espaces collectifs, le public, le privé et le semi-privé, et la création du “sentiment d’appartenance”, doivent être pensés simultanément, au travers de projets capables de réaliser en permanence un feed-back entre le tout et les parties. Zone résidentielle « PAC-Rocinha » Face à la globalisation et à ses stratégies uniformisantes il est donc nécessaire de s'attacher à la notion de contexte. Chaque projet exige de développer les particularités culturelles, topographiques, de localisation, paysagères, esthétiques et d’implantation du projet dans un lieu particulier. L'appréhension de chaque contexte ne peut se réaliser qu'à travers des instruments d'analyse pertinents, allant de paire avec “l'écoute” des demandes des habitants. De façon générale, dans la plupart des grandes villes de notre continent (et en grande partie dans celles du reste du monde) il est nécessaire de faire des progrès en ce qui concerne les points suivants : - Une mobilisation génératrice des potentialités du territoire (stimulation du capital productif existant et incitation à la prise d’initiatives) ; - La création de conditions pour la participation des destinataires des politiques publiques dans les programmes (ce qui suppose l'appropriation du projet par les individus considérés comme Acteurs du dit projet) ; et l’articulation étroite avec les programmes de création d’emploi et de revenu ; - Une politique de logement comprise comme un aspect fondamental dans la “construction de la ville” ; - véritable fonction articulatrice du Projet Urbain ; - Le rattachement à des services et équipements sociaux de qualité (équipements de prestige) dans les zones ayant les plus faibles IDH ; - L’élaboration de programmes basés sur l'existant pour la transformation de quartiers avec une densité suffisante ; - Une intervention sérieuse, solide et qui appuie la défense des intérêts des citoyens. Il manque l’existence de gouvernements qui puissent être perçus par la population comme des acteurs de En Amérique Latine, il est aujourd’hui nécessaire de surmonter les politiques faites à court terme pour pouvoir “s’en sortir”. Promenade public entre les unités de logements du PAC-Complexe d’Alemão. Pour plus d’informations
Jorge Mario Jáuregui
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